Des projets de solidarité à l’épreuve de la crise sanitaire

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Soutien scolaire en période de confinement par l’association Rencont’roms nous, qui développe des actions inclusives et participatives auprès de Roms d’un bidonville de Toulouse. © Gaëlle Giordan

Repenser le lien, apprivoiser le numérique, développer des actions d’urgence auprès des plus fragiles ou éprouver sa capacité de résilience : la communauté du Prix Fondation Cognacq-Jay a su rebondir face à la crise sanitaire. Tour d’horizon chez les lauréats de son édition 2019.

« Le confinement a consolidé les liens dans nos équipes et avec nos jeunes. Même si les projets avancent moins facilement, moins rapidement, nous avons testé notre capacité à faire ensemble. Et ça, ça nous fait avancer. » Aude Charles accompagne des jeunes qui sortent de la protection de l’enfance au sein de Rebond du Cœur. Dès le premier confinement, l’association s’est mise en veille par mail, téléphone ou SMS, pour rester à l’écoute des plus isolés. Elle a multiplié les activités à distance avec le soutien renforcé des bénévoles, en s’appuyant sur le guide de bonnes pratiques des Apprentis d’Auteuil, afin de rester attentif et rassurant, de bien relancer la discussion, de ne surtout pas être intrusif… Car les jeunes suivis par Rebond du Cœur, explique Aude Charles, vivent « parfois des situations très compliquées avec des parents en souffrance psychique, en décrochage, avec des pertes de revenus conséquentes. Certains vont même jusqu’à mettre le jeune dehors parce qu’il coûte trop cher… »

La mobilisation des bénévoles de Rebond du Cœur s’est maintenue depuis le printemps 2020, avec une présence journalière à la permanence (ce qui n’était pas le cas avant la crise) et des rendez-vous en visio réguliers pour maintenir le lien entre les jeunes et les équipes. Bref, comment beaucoup d’autres, l’association a réussi à adapter son action au nouveau contexte… 

S’approprier les outils numériques

De fait, les pratiques du numérique  ont été rapidement adoptées par toutes les organisations. Accompagner ceux qui en maîtrisent mal les usages s’est révélé crucial pour leur permettre de rester en contact, d’accéder à l’information et aux services.

C’est le constat qu’a fait Familles Rurales, porteur du projet Ardenne Mobilité Entraide, qui lutte contre l’isolement des seniors en milieu rural. Attentive aux initiatives informelles, la structure a soutenu le service de livraison de courses Pouce-Caddie à destination de ceux qui ne maîtrisent pas suffisamment les outils numériques et ont des difficultés pour se déplacer.

Ce dispositif est complémentaire du projet franco-belge SSL (Smart Socialized Living), co-initié par Familles Rurales Ardennes afin de faciliter l’accès des seniors isolés aux services essentiels d’information, de droit ou de santé passant par le numérique, leur permettant ainsi de limiter leurs déplacement. Pouce-Caddie s’est en effet avéré idéal pour ceux qui ne peuvent vraiment pas s’approprier les outils digitaux, et c’est pourquoi il devrait être pérennisé.

Développer de nouvelles actions d’urgence

La couverture des besoins essentiels comme l’alimentation, le soin, mais aussi le suivi scolaire a poussé certaines structures à réorienter leurs activités. C’est le cas de Rencont’Roms Nous à Toulouse : « Lors du premier confinement, nous sommes restés présents pour participer à l’aide alimentaire indispensable. Nous avons aussi mis en place “la petite école du terrain”, un soutien scolaire sur le bidonville, permettant de raccrocher les élèves à l’école, en collaboration avec les établissements scolaires. Depuis, notre jeune salarié, Andrei Nicolae, lui-même Rom habitant du lieu, est devenu médiateur scolaire, et tous les jeunes du terrain se sont inscrits à l’école ! ».

Dans l’urgence de la situation, la communauté de la Flambère s’est organisée. Chacun a pu apporter son aide, son énergie, même lorsqu’il se trouvait lui-même en situation de vulnérabilité. Un véritable élan solidaire pour faire-ensemble, comme en témoigne Andrei Nicolae : « Je me sens bien, utile, parce que j’aide les gens. C’est important d’être présent sur le terrain, même si ce n’est pas facile tous les jours. Certains se mettent en colère des fois. Mais je les comprends, car comme j’ai habité sur le terrain, j’ai connu moi aussi les difficultés, la précarité. Alors je n’y fais pas attention, je continue, pour aider, pour avancer. (…) Je suis fier de le faire, de participer à cette solidarité. J’ai rencontré beaucoup de bénévoles aussi, c’est super. Alors on va continuer tous ensemble. »

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Soutien scolaire, en l’occurrence ici aide à l’apprentissage de la lecture, auprès d’enfants Roms de la communauté de la Flambère à Toulouse, par des bénévoles de l’association Rencont’Roms Nous. © Gaëlle Giordan

 

Pour le Foyer d’Olympe qui soutient les femmes victimes de violence, les actions se sont prioritairement dirigées vers les femmes en grande précarité ou les mères isolées hébergées en hôtel. L’association a proposé des livraisons de repas et produits de première nécessité et a organisé, pour certaines, des groupes de parole en visio. En janvier 2021, Foyer d’Olympe a par ailleurs contribué à reloger en colocation deux femmes et leurs enfants dans un appartement mis à disposition par un partenaire et aménagé par une équipe de bénévoles.

Autre urgence : celle des exilés de Lesbos, en Grèce, dont le camp a été dévasté. Low-tech with Refugees a dû quitter les lieux mais a réussi à maintenir le contact avec certains résidents, en collaboration avec le Medical Volunteers Center. L’association développe des solutions « low-tech », particulièrement résilientes en période de crise, comme la fabrication de « power-banks », systèmes de recharge de téléphones portables à partir de matériaux de récupération. Dans le même temps, Marjolaine Bert, porteuse du projet, a ouvert deux nouvelles antennes de Low-tech with Refugees à Marseille et à Briançon.

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Des réfugiées travaillent sur un chantier de permaculture avec des bénévoles de l’association Low-tech with Refugees dans la région de Briançon. © Low-tech with Refugees

 

Des communautés sensibilisées

Autre constat, que traduisent les mots de Raphaël Rueda, responsable de la Ligne Vertuose à Lyon : « Nous avons ressenti un regain de solidarité. Nous avons parfois l'impression que la crise sanitaire a ouvert les yeux de beaucoup d’acteurs sur le reste du monde. Les liens se sont resserrés. » Tout comme les liens entretenus avec les jeunes sortis de la Ligne Vertuose que Raphaël suit avec attention, car certains sont en chômage technique et pourraient retomber en « décrochage de lien social ».

Rester confiné, ne pas sortir, c’est le quotidien des patients à l’hôpital. Pour Hélène, 41 ans, auteure du livre Le premier jour du reste de mon cancer, qu’elle a écrit grâce à l’accompagnement de l’association Traces de Vie, « cette situation va montrer à tous ce qu’est le confinement ! Cette solitude que vivent les malades. » Depuis, Hélène a reçu les exemplaires de son ouvrage, qu’elle a remis à ses proches… avant de s’éteindre.

Traces de Vies a étendu son action, pour faire face à l’isolement que le confinement a accru chez bien des personnes, très âgées, en situation de handicap, malades ou en fin de vie, en créant une écoute téléphonique pour maintenir un lien avec elles.

La résilience collective s’organise

Le recul manque encore, mais déjà quelques enseignements peuvent être tirés de cette période particulière. Do Huynh, directeur des Détritivores à Bordeaux, retient deux leçons : « Un, les structures de l'ESS ont besoin de fonctionner davantage en coopération pour traverser ces crises ; deux, les collectivités locales ont le pouvoir de soutenir massivement l'ESS par la commande publique. » Des collectivités locales ont ainsi confié la collecte des biodéchets de la restauration scolaire, senior et administrative, à l’association. Les Détritivores ont profité de ce développement pour mener des actions de sensibilisation au tri, à la source des biodéchets, auprès des responsables de cantines, des enfants et des habitants.

Même cas de figure à Avignon, où une partie du marché public a été redirigé vers l’aide alimentaire. Solène Espitalié, responsable du projet Le goût du bon sens, qui fournit essentiellement des acteurs de la restauration collective en légumes bio, a saisi l’opportunité : « Nous fournissons chaque semaine quatre structures d’aide alimentaire avec nos produits. Nous allons pérenniser le modèle avec d’autres collectivités en proposant également un volet de sensibilisation à la nutrition. La plus grosse problématique de précarité alimentaire n’est pas financière, mais sur l’éducation. Avec un petit budget, les gens vont acheter des produits ultra-transformés, très mauvais pour la santé, et qui coûtent plus cher qu’on ne croit ! Ils ont perdu la connaissance de travailler des produits frais. En leur proposant des produits frais prêts à cuisiner, ça cartonne ! Au lieu d’acheter 4 boîtes de nuggets, ils en achètent 2 et ils prennent des produits frais. Les structures d’aide alimentaire m’en réclament maintenant. »

Les fermes agroécologiques ont également prouvé la résilience de leur modèle agricole puisqu’elles n’ont pas, ou très peu, souffert de cette période complexe grâce à un choix d’exploitation à taille humaine basée sur des circuits courts. Pour Anne-Lore Leguicheux, responsable du programme Compagnonnage Réfugiés, « ce constat a grandement conforté les compagnons dans leur choix professionnel : le maraîchage agroécologique est un métier d'avenir. »

Bref, comme le montre ce trop rapide panorama des actions des lauréats 2019 du Prix Fondation Cognacq-Jay, ces temps de crise sanitaire sont bien loin d’être des moments de chômage forcé pour les acteurs de la solidarité.